Depuis le début de la pandémie du Covid-19, la grande majorité des salariés a été appelée à rester confinée et à travailler à domicile, lorsque cela est possible, pour des raisons sanitaires. Ainsi, le télétravail, encore peu utilisé jusqu’alors au Luxembourg, s’est généralisé durant le confinement dans un laps de temps record.
Or, avec une population active au Luxembourg qui est environ à 50% frontalière, le télétravail est susceptible d’engendrer des conséquences au niveau fiscal et de la sécurité sociale pour les salariés frontaliers.
Bien entendu, la question des conséquences fiscales du télétravail n’est pas nouvelle pour les employeurs luxembourgeois. En effet, ces derniers devaient déjà apprendre à maîtriser le calcul des jours prévus dans les conventions fiscales avant la crise sanitaire, au regard du seuil de « tolérance » à partir duquel un changement du pays ayant le droit d’imposer les salaires est rendu possible.
L’application de ces règles est parfois jugée complexe ou déroutante en pratique, et a récemment fait couler beaucoup d’encre pour les salariés frontaliers français confrontés aux nouvelles dispositions de la convention fiscale avec la France. Il est donc utile de rappeler quel est le cadre fiscal existant pour les salariés frontaliers effectuant du télétravail et comment ces règles ont été assouplies durant la période Covid-19, afin de permettre aux entreprises et à leurs salariés de mieux comprendre les différentes règles en vigueur pour l’année 2020.
Quel est le cadre fiscal général en cas de télétravail ?
Le télétravail des salariés qui sont des résidents fiscaux de l’un des trois pays frontaliers (Allemagne, Belgique, France) mais ayant un employeur au Luxembourg, engendre des implications fiscales qui sont régies par les dispositions générales (non spécifiques au télétravail) des conventions fiscales conclues entre le Luxembourg et chacun de ces pays. Ainsi, ces conventions prévoient quelle sera la répartition du droit d’imposer les salaires concernés entre les deux États (et comment les éventuelles doubles impositions seront évitées).
Ces règles pourront donc avoir un impact sur la situation fiscale de certains salariés frontaliers et sur les obligations déclaratives pesant éventuellement sur leurs employeurs luxembourgeois. Ainsi, pour simplifier, le salaire d’un résident frontalier perçu pour des jours de travail prestés hors du Luxembourg, est en principe uniquement imposable dans son État de résidence et ce, dès le premier jour exercé en dehors du Luxembourg, lorsque le seuil annuel de « tolérance » prévu par les conventions fiscales est dépassé.
Ce seuil varie d’un pays à l’autre : 19 jours en Allemagne, 24 jours en Belgique et 29 jours en France. En revanche, tant que ce seuil n’est pas atteint, l’intégralité du salaire reste imposable au Luxembourg (sous réserve des dispositions des conventions fiscales en vue d’éliminer la double imposition). Dans le cas de la France, la nouvelle convention qui est entrée en vigueur en 2020 a introduit un certain nombre de changements, en plus de l’instauration du seuil de 29 jours.
Ainsi, tant que le seuil de 29 jours n’est pas dépassé, l’intégralité du salaire qui devrait être taxable au Luxembourg sera également imposable en France, mais avec octroi d’un crédit d’impôt qui devrait être égal à l’impôt français. Par ailleurs, si le salarié passe plus de 29 jours par an hors du Luxembourg, il n’est pas exclu que les autorités françaises cherchent à imposer aux employeurs luxembourgeois un prélèvement de l’impôt à la source pour le compte de l’administration fiscale française sur la partie du salaire correspondant à l’activité exercée sur le territoire français.
Néanmoins, il est important de noter qu’en cas de dépassement des seuils de « tolérance » en raison par exemple du télétravail, l’imposition d’une partie du salaire dans l’État de résidence du salarié est susceptible d’avoir un impact qui peut être aussi bien positif que négatif sur la charge fiscale qui sera supportée par ce dernier. Cette charge dépend en effet de chaque cas d’espèce et notamment de la situation fiscale personnelle de chaque salarié et de son pays de résidence.
Côté employeurs, le télétravail implique de pouvoir suivre précisément le nombre de jours prestés hors du Luxembourg par les salariés, pour respecter les obligations fiscales et déclaratives qui en découlent, le cas échéant, au Luxembourg et dans chacun des pays concernés. Or, la méthode de calcul des seuils de « tolérance » et les modalités de charge de la preuve varient entre les trois pays frontaliers, ce qui est une source de complexité supplémentaire.
Nous renvoyons à l’encadré ci-contre pour une illustration simplifiée du fonctionne-ment de ces règles.
Aperçu du fonctionnement du décompte des jours du seuil de « tolérance » :
- Nombre de jours de tolérance (seuil par pays) : Allemagne =19 jours, Belgique = 24 jours, France = 29 jours;
- Pays considérés pour le calcul du seuil : Pays de résidence et pays tiers (i.e. hors Luxembourget pays de résidence);
- Détermination d’une journée de travail : Activité salariée au domicile, déplacementset formations professionnelles;
- Modalités de décompte des jours de travail : Une fraction de journée prestée partiellementhors du Luxembourg = journée entière;
- Si respect du seuil :Imposition du salaire uniquement au Luxembourg;
- Droit d’imposition si dépassement du seuil : Dès le 1erjour, répartition du salaire entre le pays de résidence (au prorata du temps presté hors du Luxembourg) et le Luxembourg;
- Modalité d’élimination de la double imposition : Exemption avec réserve de progressivité à l’exception de la France qui devrait introduire un crédit d’impôt équivalent à l’impôt français (avenant encours de ratification).
Quelles sont les règles fiscales spécifiques Covid-19 ?
Pour lutter contre la pandémie, de nombreux États ont rapidement introduit un certain nombre de mesures fiscales afin d’accompagner les mesures sanitaires imposées aux entreprises et à leurs salariés. Dans cette lignée, le Luxembourg a négocié des accords amiables avec les trois pays frontaliers afin de limiter les conséquences fiscales négatives pouvant résulter du télétravail « forcé ».
Ainsi, les autorités allemandes, belges et françaises ont accepté de considérer que la situation actuelle liée au Covid-19 constitue un cas de force majeure, pour lequel aucun jour de travail presté dans l’un de ces pays par un salarié frontalier n’est à comptabiliser, sous certaines conditions, au titre des jours pris en compte pour le calcul du seuil de « tolérance ».
Ces accords amiables possèdent des caractéristiques et modalités d’application légèrement différentes, auxquelles les employeurs devront donc se référer pour s’assurer d’une application correcte des règles transitoires concernées.
Chacun de ces accords a en effet permis aux salariés frontaliers de travailler depuis leur domicile pendant la crise sanitaire (pour ceux dont le métier le permettait), sans que la rémunération afférente ne soit imposée dans leur pays de résidence.
Ces accords ont d’ores et déjà été prolongés à plusieurs reprises et s’appliquent désormais jusqu’à la fin de l’année 2020 (pour la France et la Belgique, et sous réserve d’une absence de dénonciation expresse pour l’Allemagne) ce qui permet d’assurer aux employeurs la prévisibilité nécessaire pour pouvoir s’organiser au mieux et anticiper le retour progressif de leurs salariés au travail sur site dans les mois à venir. Il conviendra par la suite de voir si ces accords seront à nouveau reconduits, en cas de continuation de la pandémie.
En résumé, que faut-il retenir pour l’année 2020 ?
Le cadre fiscal général applicable aux salariés frontaliers et les accords amiables liés au Covid-19, tels que décrits ci-dessus, vont s’appliquer simultanément pour l’année d’imposition 2020. Ainsi, il est important que les employeurs luxembourgeois effectuent un suivi du calendrier de travail de leurs salariés afin de pouvoir identifier si le télétravail effectué par leurs salariés était ou non lié à la crise sanitaire (et ainsi apprécier un éventuel dépassement du seuil « tolérance » au cours de l’année 2020). Tous les éléments relatifs à ces calculs et à la preuve du lieu d’exercice de l’activité professionnelle devront en outre pouvoir être produits en cas de questions des autorités fiscales luxembourgeoises ou étrangères dans le futur.