Le défi de la disponibilité de main-d’œuvre : Des mesures prises à contresens !

07.02.2023

Dossier de l'UEL

La disponibilité des talents constitue l’un des principaux défis du Luxembourg et des entreprises, tant pour garantir leur compétitivité aujourd’hui que demain. 

Une nécessité à court et long terme

Malgré un niveau de salaires élevé en comparaison internationale, le Luxembourg connaît en ce moment une pénurie de main-d’œuvre. Cette indisponibilité est de plus en plus perçue comme un obstacle au développement des entreprises. Le Baromètre de l’économie de la Chambre de Commerce a montré que 55% des entreprises luxembourgeoises considèrent le manque de main-d’œuvre qualifiée comme le principal défi pour leur développement économique en 2023, le plaçant en tête des défis. L’enquête de conjoncture de la Chambre des Métiers a indiqué qu’au cours du deuxième trimestre 2022, 70% des entreprises artisanales confirmaient également un manque de personnel. Finalement, le premier Baromètre de l’emploi de l’UEL réalisé en collaboration avec la fr2s auprès des cabinets de recrutement confirmait que le marché de l’emploi actuellement très tendu concerne tous les secteurs économiques. 

Pour réussir ses transitions digitale et environnementale, le Luxembourg devra disposer de salariés formés dans cette perspective. Cependant, ces métiers souffrent déjà d‘une situation de pénurie aggravée.

Le Luxembourg devra trouver en outre des talents pour remplacer le nombre croissant de départ en pension. Actuellement 120.000 salariés, soit environ 25% des travailleurs, ont 50 ans ou plus. De manière globale, le besoin de recrutement au Luxembourg à l’horizon 2030 est estimé à quelque 300.000 salariés 

Une guerre des talents

Le besoin en talents s’inscrit dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre généralisée à l’échelle européenne. Bien qu’il soit vrai que la pénurie n’ait jamais été aussi grande au Luxembourg (elle touche d’ailleurs tous les secteurs économiques et tous les profils), l’ampleur de la situation est encore plus importante dans de nombreux autres pays européens. Ainsi, comme nous le montre le graphique ci-dessous, le taux de vacance d’emploi, l’indicateur de référence en la matière, est au Luxembourg inférieur à celui de la moyenne européenne et presque deux fois moins élevé par rapport à des pays comme l’Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas. 

Cette réalité concerne aussi tous les secteurs économiques. Par exemple, alors que la pénurie dans le secteur de la construction est une réalité reconnue au Luxembourg, le taux de vacance d’emploi au Luxembourg y est « seulement » de 1.3%, contre 4.0% en moyenne dans la zone euro. 

Taux de vacance d’emploi (2022-Q3 ; Eurostat)
Cliquez sur le visuel pour l’agrandir. 

Les entreprises peinent à trouver les compétences adéquates au Luxembourg, dans la Grande-Région et progressivement dans toute l’UE.  Tandis que les autres pays européens font face aussi à une pénurie de talents, recherchent les mêmes profils et adaptent une politique incitative pour les attirer, nous ne pouvons que regretter le processus de recrutement des salariés non-ressortissants de l’UE soumis à des formalités administratives disproportionnées par rapport au but recherché (pour plus de détails, voir Position de la FEDIL sur l’attrait de talents venant d’États tiers à l’Union européenne). Dans ce contexte, l’UEL salue la volonté du Gouvernement de donner un accès immédiat au marché du travail aux membres de famille des ressortissants de pays tiers. 

Un défi pris à contresens

Face à ce défi de la disponibilité de la main-d’œuvre, l’UEL s’aperçoit que de nombreuses actions et situations s’inscrivent à contresens sur plusieurs aspects : Nous ne mentionnerons pas le débat actuel sur une éventuelle réduction du temps de travail, qui risque d’être à l’agenda des prochaines élections législatives et qui ne ferait qu’aggraver la situation. Avançons simplement que si le temps de travail est réduit, il faudra davantage de main-d’œuvre alors que celle-ci fait déjà défaut aujourd’hui. 

Nous pourrions traiter des aspects économiques (mismatch sur le marché du travail, coût de la mobilité et du logement), sociétaux (work-life balance, télétravail, temps de trajet) ou démographiques (vieillissement de la population et épuisement du bassin d’emplois disponibles dans la Grande-Région) mais nous nous limiterons dans la présente communication aux aspects légaux et réglementaires pour lesquels le législateur joue un rôle plus ou moins déterminant. 

La rigidité du marché du travail et l’inflation réglementaire, dans un contexte d’absentéisme pour cause de maladie toujours plus haut, réduisent d’autant la main-d’œuvre disponible aux activités productives et créatrices de valeur. Le cumul des congés dans un contexte d’absentéisme réduit le temps de travail effectif alors que le cumul des obligations de reporting, contrôle et autres audits réduit le temps de travail productif.  

La croissance des tâches secondaires/improductives (i.e. reportings divers) dans les entreprises est illustrée à travers l’évolution du nombre de postes vacants d’auditeurs déclarés à l’ADEM. Ce dernier a triplé ces dernières années pour atteindre aujourd’hui environ 1.500 postes. Rien que ce métier explique ainsi plus de 10% de l’ensemble des postes vacants déclarés à l’ADEM. Nous pourrions également corréler l’inflation des obligations de reporting avec la stagnation de la productivité au Luxembourg, encore confirmée par le dernier Rapport du Conseil national de la Productivité. 

Bien que chacune des mesures ou congés pris individuellement peut apparaître positif, leur cumul induit de lourdes conséquences sur les entreprises et l’économie.  

Avec 26 jours de congés de récréation annuels (article L. 233-4 du Code du Travail) et 11 jours fériés par an (article L. 232.2 du Code du Travail), soit 37 jours par an, le Luxembourg figure parmi les pays européens offrant le plus de jours non travaillés. Outre ces congés de récréation « normaux », une multitude (25 en existent actuellement !) de congés spéciaux ont été créés (dernièrement le congé d’aidant et le congé pour force majeur), d’autres ont été allongés (le congé de paternité est passé de 2 jours à 10 jours en 2018) ou encore rendus plus attractifs (le nombre de personnes ayant bénéficié du congé parental entre 2017 et 2021 a augmenté de 41%, soit bien plus que le nombre de salariés (+13%)). 

L’UEL voudrait rappeler par ailleurs l’importance dans ce contexte d’adapter le cadre légal afin de  rendre l’organisation du travail plus flexible et permettre aux entreprises de gérer ces absences.  

La générosité du système de retraite joue aussi un rôle essentiel sur la disponibilité de la main-d’œuvre à Luxembourg.  En effet, l’âge de départ en retraite (61 ans) et le taux d’emploi des 55-64 ans (44%) sont parmi les plus faibles de tous les pays de l’OCDE. L’UEL déplore cette situation qui, outre le fait qu’elle soit insoutenable eu égard au vieillissement naturel de la population et au financement à long terme des retraites, entraîne une perte de transmission de savoir entre générations. Rappelons aussi que la croissance de l’emploi représente une condition nécessaire (mais pas suffisante) pour assurer le financement – par répartition – de notre système de pension. 

Les rapports de l’observatoire de l’absentéisme montrent que l’absentéisme pour cause de maladie augmente chaque année et représente aujourd’hui un coût annuel direct (Caisse National de Santé, Mutualité des Employeurs et employeurs) de plus d’1 milliard d’euros. Selon la dernière note de conjoncture du STATEC (2022-2), le taux d’absentéisme en 2022 dépasse même les taux enregistrés dans le courant des années 2020 et 2021, et cela malgré un recul des infections au coronavirus. 

En conclusion, bien que les perspectives économiques négatives pour 2023 devraient quelque peu détendre la pénurie de main-d’œuvre, la situation restera critique dans les prochains mois. L’UEL appelle donc chaque partie prenante engagée dans le développement socio-économique du Luxembourg de rendre le sol luxembourgeois aussi attractif que possible sur le marché de l’emploi international et de considérer chacune de leur action en termes de conséquences sur la disponibilité de la main-d’œuvre. Il en va de notre résilience économique et sociétale.