L’absentéisme nuit gravement à la santé des entreprises

19.02.2025

Position et Opinion de l'UEL

Avec un taux atteignant 4,6% en 2023 (soit une hausse de 18% depuis l’année pré-Covid 2019), l’absentéisme pour cause de maladie est tout sauf un phénomène marginal. Il est, au contraire, un véritable fléau touchant de plein fouet des entreprises déjà fortement secouées par une économie qui tourne au ralenti depuis deux ans, une productivité qui ne croît plus depuis 20 ans et une rentabilité des plus faibles en comparaison européenne. C’est d’ailleurs un phénomène qui ne se limite pas au Luxembourg, comme le montrent également différentes initiatives récentes dans nos pays voisins.  

L’absentéisme pour cause de maladie, et notamment sa hausse inquiétante, touche tous les secteurs, désorganise les entreprises, provoque une surcharge de travail dans le chef des salariés présents et entraîne un coût financier colossal : 1,2 milliard EUR en 2023. Et ce pour son seul coût direct en matière de continuation des salaires (donc hors coût de remplacement du personnel, personnel intérim, coûts de gestion, pénalités de retards, insatisfaction accrue des salariés présents, etc.).  

S’il est tout à fait évident que tout un chacun peut et a le droit d’être malade de bonne foi, les employeurs sont tout aussi en droit de s’interroger sur la « banalisation » de l’absentéisme depuis la crise du Covid. Pourquoi a-t-il cru de 18% dans son ensemble entre 2019 et 2023 (avec des premières indications montrant une nouvelle hausse supplémentaire tangible en 2024) ? Pourquoi est-il, selon une enquête réalisée par l’UEL dans les entreprises en 2024, trois fois plus élevé le lundi et deux fois plus élevé le vendredi que les autres jours de la semaine ? Pourquoi augmente-il avec la taille des entreprises ?  

Loin de placer sous « soupçon généralisé » l’ensemble des salariés, les employeurs souhaitent mieux comprendre et appréhender l’absentéisme, l’objectiver et disposer d’outils plus efficaces pour y remédier. Tant pour les entreprises que pour les salariés engagés qui supportent une charge de travail et un stress accru et qu’il convient de protéger, il est primordial d’apporter un éclairage approfondi sur ce phénomène.  

Aujourd’hui, les employeurs n’ont pas beaucoup d’outils à leur disposition et doivent subir de plein fouet l’absentéisme rampant. À l’exception du « contrôle administratif » occasionnellement réalisé par la Caisse nationale de Santé (CNS), où ses agents vérifient si une personne en incapacité de travail est bien à son domicile et respecte le régime des « sorties autorisées », les entreprises disposent de peu de leviers d’action. Elles peuvent, à leurs frais, solliciter un médecin pour effectuer une contre-expertise médicale. Toutefois, en dehors de ces options, elles se retrouvent réduites à un rôle de spectatrices payantes, sans possibilité d’intervention, tout en devant en assumer les conséquences. 

L’accord de coalition constate à juste titre que « l’absentéisme a considérablement augmenté » et annonce que le gouvernement « luttera contre toute forme d’abus » en la matière.  Et pour cause, il est primordial que la composante abusive, ce « côté obscur » de l’absentéisme soit identifié et ensuite combattu efficacement et que donc le phénomène de l’absentéisme dans son ensemble soit objectivé.  

Pour ce faire, et avant même d’évoquer un ou des éventuel(s) « jour(s) de carence », il est impératif d’augmenter significativement les contrôles médicaux effectués sur les assurés déclarés en incapacité de travail. Aujourd’hui, le Contrôle médical de la sécurité sociale (CMSS) intervient notamment dans le cadre d’arrêts longs, voire très longs. Le CMSS joue un rôle extrêmement précieux à cet égard et apparaît comme véritable pilote de l’ensemble du système de sécurité sociale luxembourgeois.  

Néanmoins, ce sont avant tout les arrêts courts et surtout leur démultiplication qui désorganisent le plus nos entreprises, qui les mettent quotidiennement devant des défis insurmontables et qui perturbent les autres équipes en place en entreprise. Pour les arrêts de courte durée, il est quasiment impossible de mettre en œuvre, même de façon limitée, le contrôle administratif. Par ailleurs, le certificat d’incapacité de travail ne doit parvenir que le troisième jour à l’employeur, pouvant constituer une perte de temps précieuse pour intervenir « au moment des faits ».  

Les entreprises n’ont donc qu’à subir. Cet absentéisme pour cause de maladie n‘est d’ailleurs qu’un défi parmi d’autres : augmentation du nombre de congés légaux, ingéniosité en matière de nouveaux « congés spéciaux », allongement, flexibilisation et générosité de tous types de congés destinés notamment aux familles. Bien que chacun de ceux-ci, pris isolément, peuvent se justifier, leur cumul est devenu une véritable problématique pour chacune de nos entreprises. De manière plus générale, la diminution du temps de travail effectif des salariés accentue la pénurie de main-d’œuvre, alors même que nos entreprises éprouvent des difficultés à disposer des ressources nécessaires pour fonctionner sereinement. C’est aussi ce phénomène qui contribue à la baisse de rentabilité et la stagnation de la productivité.

En premier lieu, il est donc essentiel de prévoir des contrôles médicaux effectués à plus grande échelle et de manière plus fréquente dans le cadre des arrêts plus courts et répétés. Dans une récente réponse à une question parlementaire, la Ministre de la Santé et de la Sécurité sociale estimait entre 10 et 14% les personnes contrôlées et déclarées capables de travailler suite aux contrôles effectués par le CMSS. Entre une personne sur dix et une personne sur sept sont donc déclarées capables de travailler rien qu’à la suite d’une visite médicale auprès du CMSS. Il y a sans doute au moins une proportion égale de personnes qui, au vu d’une simple convocation par le CMSS, retrouvent la voie du travail. Ceci montre qu’il existe indubitablement une certaine proportion de certificats de complaisance et/ou des situation de « congés » de maladie pris quelque peu trop à la légère. 

Les contrôles médicaux renforcés constituent donc l’outil de prédilection mais également celui qui est le plus objectif afin de lutter contre l’absentéisme abusif ou tout au moins pris à la légère. A cette fin, il est primordial de renforcer structurellement le CMSS et lui permettre d’adapter le nombre de médecins-conseil parallèlement à l’évolution des certificats d’incapacité de travail.  

Outre cette mesure, il sera tout de même important, notamment dans le cadre du Groupe de travail « Absentéisme » récemment mis en place par la Ministre de la sécurité sociale et de la Santé, d’évoquer d’autres pistes pouvant responsabiliser l’ensemble des acteurs de la « chaîne absentéisme » : 

  • Un contrôle et in fine la sanction des comportements de prescription anormaux dans le chef des médecins-prescripteurs à commencer par les fameux « automates à arrêts de maladie », respectivement du phénomène des « certificats de complaisance » ; 
  • Un croisement des informations et une digitalisation accrue des et entre les institutions de sécurité sociale, comme notamment la CNS et le Centre commun de la sécurité sociale (CCSS), afin de renforcer et de mieux centraliser la lutte contre les abus et les fraudes ; 
  • Une collaboration plus efficace avec les autorités de santé des pays limitrophes, le taux d’absentéisme étant tendanciellement plus important parmi les travailleurs frontaliers que parmi les résidents (p.ex. chez les femmes, absentéisme de 5,8% parmi les frontalières contre 4,6% chez les résidentes) ; 
  • La suppression des majorations de salaires pour les salariés en incapacité de travail, les suppléments ne devant, de toute évidence, pas être dus car le salarié n’a pas travaillé et n’a donc pas été exposé à la situation de travail spécifique donnant droit à un supplément (p.ex. travail de nuit, du dimanche…) ; 
  • La prévalence des congés demandés et des divers types de chômage sur la déclaration d’incapacité de travail ; 
  • Les modalités de participation des assurés ; 
  • La remédiation aux incohérences, identifiées notamment par l’accord de coalition, entre la médecine du travail et le CMSS. 


En ce qui concerne les mesures à
adopter afin de recadrer certaines tendances comportementales, le Luxembourg n‘a d’ailleurs pas besoin de réinventer la roue. Il pourra s’inspirer des meilleures pratiques déjà mises en place par nos voisins européens.

Le statut unique a principalement conduit à une responsabilisation accrue des entreprises, sans pour autant imposer les mêmes exigences aux assurés. Bien que des efforts aient été déployés, aucune véritable stratégie n’a été mise en place pour encadrer efficacement l’absentéisme et responsabiliser davantage les assurés. Face à cette situation, les employeurs constatent un déséquilibre persistant et attendent des mesures concrètes afin que cette problématique devienne une réelle priorité. Car n’oublions pas : sans entreprises performantes, pas de modèle social durable et pérenne.

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